9 déc. 2018

Yanvalou pour Charlie: l'identité en question

Mathurin D. Saint-Fort! Ou tout simplement Dieutor. L'histoire du roman, Yanvalou pour Charlie, de Lyonel Trouillot, est celle d'un campagnard que la réception de l'abandon de ses parents...par la mort et la misère. Arrivé à Port-au-Prince, il suit le conseil de son oncle Gédéon qui lui apprit à gratter sa guitare et devient Avocat. Et pas n'importe quel avocat, le meilleur de son cabinet pour n'avoir jamais perdu de cas. Son côté solitaire est mêlé à sa tentative de tuer cet être qui souffre de son passé en lui. Pour y arriver il avait cru que nier un prénom qui sentait la campagne, changer de mode de Vie et de couper tout contact avec ce qui pourrait lui rappeler ce qu'il était au fond mais en oubliant que le présent est déjà, à chaque fois un passé qui se perd dans les instants. Le fuir c'est se tourmenter. Il se contente donc d'une routine à son univers de travail avec Francine la sensible-naïve; Élisabeth, celle qui abhorre toujours une fin dans chaque relation et chaque investissement ; un chef qui promet des promotions.

Arrive au cabinet un Gamin venant vraiment de nulle part réclamer assistance. Il demandait pour un présumé mort, il demandait pour Dieutor et le mort s'est réveillé malgré lui. Lui qui s'était entraîné à nier ce prénom quand arriverait le moment. Avec Charlie, on voit Mathurin D. Saint-Fort cesser d'être tout son nom avec D. pour devenir simplement Dieutor. Il demandait son aide au nom du vieux Gédéon. Le seul qui ait jamais vraiment compté. Ainsi Dieutor quitte son masque pour traverser la laideur des bidonvilles avec Charlie au nom des siens. L'affaire se termine sur la mort de Charlie qui voulait aller prendre sa part d'argent que lui et ses amis du pensionnat avaient amassé pour quand arrivera le jour où ils seraient trop grand pour le pensionnat.

Le truc c'est qu'il n'était pas mort pour rien car tout avait changé de Mathurin et décide enfin d'aller vers sa terre natale, ce coin où lui et Anne, son unique amour, son amie d'enfance, pourrait danser et enfin dédier un Yanvalou pour Charlie ! Une salutation solennelle au rythme du tam-tam.

Reste-t-il à demander si Charlie n'est pas un prétexte idéologique qui rappelait à Dieutor son vrai nom si sans Charlie comme personnage l'histoire prend toute sa dimension. Mais est-on là pour porter des critiques? Le travail est par ailleurs un petit bijou pour ce qui concerne notre analyse qui consiste à porter l'oeil sur la question identitaire qui ne cesse de bouger dans ce texte.

Le trouble identitaire chez les personnages :
Dans ce roman on retrouve une comédie dans tout le monde veut se perdre dans son rôle :
- Mathurin Dieutor Saint-Fort: il ne veut plus du Dieutor et le fait D. Dieutor ça fait misère et campagne car "personne n'aime" ça. Son origine devait être oubliée pour le bien de son succès. Ainsi il coupe le pont avec son passé et il aurait fallut la mort de Charlie pour qu'il prenne confiance et reponde à une lettre de quinze ans passés.
- Son père passe pour un menteur et un farceur qui se cache derrière trois livres pour se sauver de ses obligations, des reproches, sublimant sa femme par ce privilège de savoir lire.
- Sa mère qui préfère voir le père comme un grand lecteur de trois ouvrages avec un espoir creux, à sa mort, il fait don, avec fierté, de la bibliothèque qui prenait tout le temps de son mari à la maison : 3 livres.
- Johanne, fille de famille aisée, veut voilée son mécontentement derrière Yanick pour manifester sa haine des exploiteurs qui devait mourir car la Johanne n'était élevée pour cela; ainsi que Andy-Franck.
- La mère de Nathanaël (ami de Charlie) qui ne lui à jamais avoué qu'elle est sa mère pour lui éviter de porter les critiques de sa grossesse précoce et de sa beauté mal agencée. Elle donne son fils au pensionnat du père Edmond qui fait tout pour paraître bon et dit qu'elle est sa sœur.

La question de l'identité vue par Althusser
Aussi chaque titre de la vie sociale correspond à un schéma qui distingue celui-ci de celui-là. Dans tout ce schéma  nous constatons  donc que la représentation idéologique de l'idéologie est elle-même contrainte  de reconnaître que tout «  sujet  », doté d'une «  conscience  », et croyant aux «  idées  » que sa «  conscience  » lui inspire et accepte librement, doit «  agir  selon ses idées  », doit donc  inscrire dans les actes de sa pratique matérielle ses propres idées de sujet libre. S'il ne le fait pas, «  ce n'est pas bien ». Pour mieux étayer la chose, on parle ci de la puissance des idées. Chaque idée que nous côtoyons nous donne des limites à ne pas franchir et implique des devoirs qui fondent l'idée. Faisant ainsi la matérialité de l'idée dans nos actions qua d nous nous y soumettons comme Dieutor voulait le faire en cachant son origine derrière un enfermement sur soi, du travail sans relâche et le refoulé d'un prénom.
Par exemple le prêtre catholique à sa représentation, il se fond dans l'idéologie catholique de la religion. L'idéologie est affaire de catégorisation : le noble et le roturier n'ont pas les mêmes habitudes, non plus la même perception des choses. C'est l'Évidence idéologique qui dit qu'on a pas besoin de preuve pour voir que Ci est Ça (le nom de famille est une marque idéologique de clase forte). On pourrait le voir comme un cliché dansle sens qu'il est nécessaire qu'un avocat, un médecin, un pasteur ait telle attitude ou tel discours.

Cela implique un autre concept, celui de la Reconnaissance idéologique. C'est-à-dire la compréhension du message que nous lance la catégorisation idéologique, l'évidence idéologique. Cela consiste en ce que Althusser appelle Rituels de reconnaissance idéologique. Par exemple celui qui se plie à genoux, les yeux fermés, chapelet en main (rituels idéologiques religieuse); le fait de serrer la main de quelqu'un (rituels idéologiques de la vie quotidienne). Cette reconnaissance n'a rien de scientifique mais la puissance de l'idéologie qui impose à l'individu tel ou tel comportement le fait sujet de ce qu'elle est. Dès lors X fait ci ou ça en tant que sujet de telle idéologie. Ce qui nous ramène au cas de figure de l'interpellation du sujet par l'idéologie : "Qui ici est chrétien?/Hey Paul!/hey élève !"  ou "le fait d'aller à l'église (c'est répondre à l'appel de l'idéologie de l'église  qui dit qu'il faut aller à l'église); de même quand les lois d'un État nous dicte telle liberté et telle restriction, obéir amène au fait de répondre à l'appel comme l'a fait Dieutor. Répondre c'est affirmer son identité. Hors de là on est bon pour toutes les comédies.

Quant à la question de la relation, on naît tous dans des systèmes idéologiques qui nous categorisent (régional:province ou capitale/classe: bourgeois ou non). L'enfant naît et on lui donne un prénom, un nom de famille (catégorisation idéologique familiale); s'il naît d'une famille chrétienne sa catégorisation est ainsi faite. D'où le fait qu'on est Toujours-déjà sujet. Et bien sûr le sujet peut bien se réveiller et vouloir manifester une inacceptation de sa catégorisation qui lui fait Dieutor, Campagnard, et tout pour devenir Mathurin Saint-Fort, Avocat, ou autre. Cependant le passé est le présent qu'on vit. On oublie mal.

Enfin de compte le nom devient un Sujet suprême qui nous rappelle tout le temps que c'est toi. Un schéma qui te donne des habitudes, un mode de vie. Après cela tout n'est qu'un acte monté.

Le problème identitaire
Mais une morale à tout cela, notre identité finit toujours par nous forcer à nous dire je suis Dieutor, Johanne, Andy. Notre passé, notre origine, tout ça c'est une manifestation d'un schéma qui nous définit ; nous interpelle tel un sujet pour nous dire tu as beau faire des études de droit, être le plus fort, tu seras toujours Dieutor. Tes origines te ramèneront toujours à cette ville pas à ton goût mais sans quoi tu n'es rien, sans quoi tout ce que tu as n'est qu'illusion. Anne c'est ton enfance, Gédéon ta jeunesse et l'avenir ne doit pas les oublier car toujours il faut se retourner pour dire oui, C'est moi Dieutor et si l'on aurait oublier, de trouver son Charlie, son Autre-Sujet, son idéologie en sujet: une Mort pour la sœur-mère de Nathanael, la peur de Yanick pour redevenir une ado et un Oui pour Dieutor. Trouver son Charlie pour devenir soi-même, son passé, son identité et chanter Yanvalou Pour Charlie.

Yanvalou Pour Charlie, yon lòt fason pou di: "Lakay se Lakay".

Un livre de Lyonel Trouillot

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